Créer le vivant n’est pas une mince affaire. Surtout quand on passe par la nature morte. Je me souviens d’un après-midi où j’ai vu peindre ce garçon (il disait travailler, lui), il y avait un pot, quatre fruits, tout un effarant jeu d’ombres et la compagnie d’un chat. Le chat dormait, il s’appelait Cézanne, et le garçon inventait, c’était Martin Laquet, en blouse sale et toutes lunettes chaussées. Le rouge des fruits n’était pas sur la toile, pas plus que le bleu et la forme exacte du pot, et il se gaussait des ombres alors que je buvais le café qu’il m’avait servi. Il n’y avait de réel que le café. Et encore ! Le monde est tout un labour de formes et de couleurs, le peintre est le laboureur. Il faut aimer la glèbe pour labourer, avoir désir de cerises pour leur donner la parole. J’ai dit aimer, j’ai dit désir, c’est bien exprès et par calcul ; il faut charnellement aimer le monde et le désirer beau et vif et meilleur pour peindre un pot et des cerises. Il faut des lunettes et beaucoup de tendresse pour créer au milieu de ce tohu-bohu de destruction et de peurs. Il faut une sainte patience de rebelle. Les cerises de Martin Laquet sont des griottes.

 

                                      Johannes Houpaille